Définition bohémien

Le mot bohémien est l’un de ces termes chargés d’histoire, de stéréotypes, de romantisme et parfois d’ambiguïtés profondes. À l’origine, il désigne un membre d’un peuple nomade arrivé en Europe au Moyen Âge, que l’on croyait alors venu de Bohême, une région aujourd’hui située en République tchèque. D’où ce nom. En réalité, ces groupes étaient pour la plupart d’origine indienne, issus des migrations romani. Mais le mot bohémien est resté, avec tout ce qu’il charrie de fantasmes occidentaux.

On peut supposer que très vite, bohémien a dépassé son sens ethnique pour désigner un mode de vie : libre, instable, marginal. Le bohémien, dans l’imaginaire collectif, devient celui qui ne se fixe pas, qui vit en roulotte, qui joue de la musique, qui fréquente les foires, qui vit de peu mais d’art. Ce glissement est ancien. Il est alimenté par la littérature, l’opéra (La Bohème de Puccini), la peinture, et toute une imagerie romantique où le bohémien symbolise une vie en dehors des conventions.

Il arrive que le mot soit utilisé aujourd’hui sans aucune référence aux populations roms ou tsiganes. On parlera alors d’un style bohémien, ou d’une vie de bohème, pour désigner une existence décalée, désordonnée, souvent artistique, où l’on privilégie la liberté à la stabilité, l’émotion à la sécurité. C’est une manière d’habiter le monde sans s’enraciner. Et le mot, dans ce sens, a quelque chose de séduisant. Il dit un refus discret de la norme, une insouciance assumée.

Mais certains diront que le mot bohémien pose problème. Qu’il enferme, qu’il caricature, qu’il exotise. Il n’est pas rare qu’il soit confondu ou utilisé à la place de gitan, rom, manouche, ce qui crée un flou identitaire souvent rejeté par les premiers concernés. Le terme a été associé à la marginalité, parfois à la délinquance, à la pauvreté, aux préjugés raciaux. Il est donc aujourd’hui manié avec plus de prudence. Ce qui fut un mot de fascination est aussi, parfois, un mot de rejet.

Le mot se retrouve aussi dans la mode, où bohémien ou boho désigne un style vestimentaire inspiré de l’esthétique nomade : tissus fluides, imprimés ethniques, bijoux en accumulation, cheveux longs et décoiffés. C’est une récupération commerciale d’un idéal de liberté, souvent très éloignée des réalités des populations originelles. Là encore, le mot devient une étiquette flottante, un code plus qu’un contenu réel.

Il n’est pas rare que le mot bohémien soit aussi synonyme de poète maudit, d’artiste fauché, de jeunesse qui rêve et qui survit. C’est le Paris du Quartier latin, les cafés enfumés, les manuscrits oubliés, les nuits sans chauffage. La bohème, chantée par Aznavour, en est l’expression parfaite : une mélancolie douce pour une période de galère sublimée par l’art. Ce bohémien-là n’a rien d’ethnique : il est un état d’esprit.

Mais il faut reconnaître que le mot a vieilli. On l’utilise moins, ou alors de manière nostalgique, stylisée. Il sent un peu le papier jauni, les vieux livres, les clichés datés. Il ne disparaît pas pour autant. Il reste dans la langue comme une trace d’un imaginaire collectif, à la fois beau et flou, entre admiration et déformation. Il dit peut-être plus sur ceux qui l’emploient que sur ceux qu’il désigne.

Bohémien, au fond, est un mot double. Il évoque à la fois une réalité historique et une fiction culturelle. Il faut l’aborder avec nuance, avec conscience de ce qu’il contient. C’est un mot de liberté, oui, mais aussi un mot d’étiquette. Il peut être poétique ou blessant, selon l’usage. Et c’est précisément là que réside toute sa complexité.